En cas de violation de la liberté d'expression, le licenciement est nul

La nullité du licenciement est de droit

Un cadre supérieur a été licencié pour insuffisance professionnelle.

Le salarié estimait que le vrai motif de son licenciement résidait, en réalité, dans l'alerte lancée trois mois plus tôt à l'occasion du rachat de la société, alerte faisant état du danger de poursuites pénales que représentaient certaines opérations financières accompagnant ce rachat.

À la suite de son licenciement qu’il estimait abusif, le salarié a saisi le Conseil de prud’hommes, en sollicitant : 

- À titre principal, que son licenciement soit déclaré nul,

- À titre subsidiaire, qu’il soit reconnu comme privé de cause réelle et sérieuse.

La Cour d'appel de Paris déboute le salarié de sa demande en nullité de son licenciement et qualifie le licenciement sans cause réelle et sérieuse.

À ce titre la Cour alloue des dommages et intérêts au salarié. 

Le salarié forme un pourvoi en cassation.

Bien que le montant de la condamnation soit conséquent, le licenciement ayant été notifié en 2014, avant la date d'application du barème Macron, le salarié tient à ce que la nullité soit reconnue. 

La Cour de cassation examine, tout d’abord, la recevabilité du moyen soulevé par le salarié.

La nullité ayant été formulée à titre principal, la demande du salarié est recevable.

La Cour de cassation, pour motiver sa décision, s’appuie sur l’article L. 1121-1 du Code du travail et l'article 10, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales. 

Elle rappelle que, « sauf abus, le salarié jouit, dans l'entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d'expression, à laquelle seules des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché peuvent être apportées ».

En conséquence, « le licenciement prononcé par l'employeur pour un motif lié à l'exercice non abusif par le salarié de sa liberté d'expression est nul ».

Cette décision renforce la liberté d’expression des cadres dans l’exercice de leurs fonctions.

Dans l’affaire commentée, le salarié en question cumulait deux protections :

1- Une liberté fondamentale, à savoir, la liberté d’expression, 

2- Le statut des lanceurs d’alertes dont la protection a été renforcée par la loi du 16 février 2022. 

L’aspect novateur de cette décision est qu’en présence d’une violation d’une liberté fondamentale ou d’une discrimination prohibée, le juge a le devoir, et non pas simplement le choix, d’annuler le licenciement à la seule condition que la nullité soit demandée à titre principal par le salarié.

Il s’agit d’une grande avancée pour les salariés usant de leur liberté d’expression.

En effet dans l’hypothèse d’un licenciement, le juge n’a pas à examiner les autres faits énoncés dans la lettre de licenciement.

La nullité est de droit.

Cass. soc.,16 févr. 2022, pourvoi no 19-17.871, arrêt no 360 FS-B

 

Faits et procédure

Selon l'arrêt attaqué (Paris, 16 janvier 2019), M. [M] a été engagé à compter du 1er octobre 2008 en qualité de directeur fiscal par la société Newedge Group (la société Newedge).

Son contrat était soumis à la convention collective nationale de la banque du 10 janvier 2000. Le 1er mars 2012, il a été promu au grade de « senior director », puis, le 5 mars 2014, à celui de « managing director ».

A l'occasion du rachat par la Société générale, détentrice de 50 % des parts de la société Newedge, des parts restantes, un contrat de cession de parts a été conclu en décembre 2013 et des discussions ont été entreprises pour préparer l'absorption de la société Newedge par la Société générale.

Par lettre du 31 juillet 2014, la société Newedge a notifié au salarié son licenciement pour insuffisance professionnelle.

Arguant de ce que son licenciement serait, en réalité, la conséquence d'une alerte qu'il avait lancée le 17 juin 2014, le salarié a, le 9 octobre 2014, saisi la juridiction prud'homale à l'effet d'obtenir, à titre principal, le prononcé de la nullité de son licenciement, à titre subsidiaire, la reconnaissance de ce qu'il est dépourvu de cause réelle et sérieuse, et paiement de diverses sommes de nature salariale ou indemnitaire.

 

Examen des moyens

Sur le second moyen du pourvoi incident de l'employeur, le premier moyen, pris en sa seconde branche, et les quatrièmes et cinquièmes moyens du pourvoi principal du salarié, ci-après annexés

En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le second moyen du pourvoi incident qui n'est pas recevable ni sur les autres griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen, pris en sa première branche, du pourvoi principal

Énoncé du moyen

Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande en paiement d'heures supplémentaires et d'une indemnité pour travail dissimulé, alors « que l'employeur est tenu d'organiser avec chaque salarié ayant conclu une convention de forfait jours, un entretien annuel portant sur la charge de travail, l'organisation du travail dans l'entreprise, l'articulation entre l'activité professionnelle et la vie personnelle et familiale ainsi que la rémunération du salarié ; que pour rejeter les demandes du salarié, l'arrêt retient que les dispositions de l'accord de branche garantissent le contrôle par l'employeur de la surcharge de travail et des moyens d'y remédier, que chaque entretien annuel réserve une partie tant à l'amplitude de travail qu'à la charge de travail et qu'il est établi par la production des comptes rendus de ces entretiens que le salarié a pu y exprimer ses besoins lorsqu'il en avait, et que des solutions ont été recherchées et trouvées ; qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si l'organisation du travail dans l'entreprise, l'articulation entre l'activité professionnelle et la vie personnelle et familiale ainsi que la rémunération du salarié avaient été évoquées au cours de ces entretiens, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article L. 3121-46 du code du travail dans sa rédaction applicable. »

 

Réponse de la Cour

Ayant relevé que chaque entretien annuel réservait une partie tant à l'amplitude du travail qu'à la charge de travail et qu'il était suffisamment établi par la production des comptes rendus de ces entretiens que le salarié avait pu y exprimer ses besoins, qu'il avait été écouté, et que des solutions avaient été recherchées et trouvées, la cour d'appel a fait ressortir que l'employeur avait veillé à la surcharge de travail, y avait remédié et qu'était assuré le contrôle de la durée maximale raisonnable de travail.

Elle a ainsi pu retenir, sans être tenue de procéder à une recherche que ses constatations rendaient inopérante, que les garanties mises en place par l'accord avaient été effectives et en a justement déduit que le salarié serait débouté de sa demande en paiement d'heures supplémentaires et de sa demande en paiement d'une indemnité pour travail dissimulé.

Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le deuxième moyen, pris en sa quatrième branche, du pourvoi principal.

 

Énoncé du moyen

Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande tendant à faire déclarer son licenciement nul et de ses demandes subséquentes, alors :  « que le licenciement prononcé à l'encontre d'un salarié à qui il était seulement reproché d'avoir usé, sans abus de sa part, de sa liberté d'expression, est entaché de nullité ; qu'en rejetant la demande de nullité du licenciement et en concluant à une simple absence de cause réelle et sérieuse, après avoir constaté qu'il n'était pas établi que le salarié ait exprimé son désaccord dans des termes outranciers ou injurieux et ait ainsi abusé de sa liberté d'expression, la cour d'appel qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé l'article L. 1121-1 du code du travail et l'article 10, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

 

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

La Société générale conteste la recevabilité du moyen.

Elle soutient qu'un licenciement ne pouvant être à la fois nul et sans cause réelle et sérieuse, le salarié, qui n'a pas remis en cause les chefs de dispositif de l'arrêt ayant jugé son licenciement sans cause réelle et sérieuse et alloué des dommages-intérêts à ce titre, est irrecevable à critiquer le chef de dispositif rejetant sa demande tendant à faire juger son licenciement nul.

Cependant, il ressort des conclusions du salarié que celui-ci avait formé, à titre principal, la demande tendant à faire déclarer son licenciement nul et, à titre subsidiaire, celle tendant à le faire reconnaître sans cause réelle et sérieuse. La cour d'appel a rejeté la demande principale et accueilli la demande subsidiaire.

Le moyen est donc recevable.

 

Bien-fondé du moyen

Vu l'article L. 1121-1 du code du travail et l'article 10, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :

Il résulte de ces textes que sauf abus, le salarié jouit, dans l'entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d'expression, à laquelle seules des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché peuvent être apportées.

Le licenciement prononcé par l'employeur pour un motif lié à l'exercice non abusif par le salarié de sa liberté d'expression est nul.

Pour débouter le salarié de sa demande en nullité de son licenciement, l'arrêt, après avoir relevé que l'expression par le salarié de son désaccord sur les modalités d'intégration de Newedge au sein de la Société générale et notamment sur le transfert des comptes de compensation de [Localité 3] à [Localité 2] était au cœur des reproches faits par l'employeur et constaté qu'aucun des éléments versés aux débats ne démontrait que le salarié se fût exprimé sur ce désaccord dans des termes outranciers ou injurieux, retient que l'intéressé n'a pas abusé de sa liberté d'expression et que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse.

En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que les propos litigieux sur lesquels était fondé le licenciement ne caractérisaient pas un abus par le salarié de sa liberté d'expression, la cour d'appel, qui aurait dû en déduire la nullité du licenciement, a violé les textes susvisés.

Et sur le troisième moyen, pris en sa quatrième branche, et le sixième moyen, pris en sa première branche, du pourvoi principal, réunis.

 

Énoncé du moyen

Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande en paiement d'une indemnité pour non-respect de la procédure et de sa demande tendant à faire ordonner la publication de la décision, alors : « 1o/ - que lorsque le licenciement irrégulier est, au surplus, déclaré nul, l'irrégularité de procédure doit être réparée par le juge, soit par une indemnité distincte, soit par une somme comprise dans l'évaluation globale du préjudice résultant de la nullité du licenciement ; que partant, la cassation à intervenir sur le deuxième moyen relatif à la nullité du licenciement entraînera, par voie de conséquence, la censure du chef de dispositif ici querellé, en application de l'article 624 du code de procédure civile ;

2o/ - que la cassation à intervenir sur le deuxième moyen entraînera, par voie de conséquence, la censure du chef de dispositif ayant débouté le salarié de sa demande tendant à voir ordonner la publication de la décision, en application de l'article 624 du code de procédure civile. »

 

Réponse de la Cour

Vu l'article 624 du code de procédure civile :

La cassation prononcée sur le deuxième moyen du pourvoi principal entraîne la cassation, par voie de conséquence, des chefs du dispositif relatifs à l'indemnité pour non-respect de la procédure et à la publication de la décision, qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.

 

Portée et conséquences de la cassation

La cassation prononcée sur le deuxième moyen du pourvoi principal entraîne, par application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation, par voie de conséquence, du chef de dispositif critiqué par le septième moyen du pourvoi principal et le premier moyen du pourvoi incident se rapportant à l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.

 

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute M. [M] de sa demande tendant à voir dire son licenciement nul et de toutes ses demandes subséquentes à cette nullité, dit que le licenciement de M. [M] est sans cause réelle et sérieuse, condamne la Société générale à payer à M. [M] les sommes de 250 000 euros à titre d'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse, déboute M. [M] de sa demande en paiement d'une indemnité pour non-respect de la procédure et de sa demande tendant à voir ordonner la publication de la décision, l'arrêt rendu le 16 janvier 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;

Condamne la Société générale aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la Société générale et la condamne à payer à M. [M] la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du seize février deux mille vingt-deux. 

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