Protection du salarié lanceur d’alerte : nullité du licenciement

Un salarié dénonçant par écrit des faits évoquant des pratiques d’escroquerie et d’abus de confiance, en des termes qui ne sont ni injurieux, ni diffamatoires ou excessifs, n’abuse pas de sa liberté d’expression. Ce dernier ne peut être licencié pour la dénonciation de ces faits, sauf mauvaise foi, laquelle ne peut résulter que de la connaissance par le salarié de la fausseté des faits. L’absence de poursuites pénales et le fait que le salarié ne pouvait ignorer que la plainte déposée allait nécessairement déstabiliser son agence ne sont pas suffisants pour démontrer sa mauvaise foi (Cass soc 8 juillet 2020, numéro 18-13.593).

Les faits

Un salarié exerçant les fonctions de vérificateur-vendeur pour une société vendant des extincteurs avait été licencié pour faute grave. Il lui était reproché, d’une part, d’avoir adressé un courrier au Directeur de région évoquant des pratiques d’escroquerie et d’abus de confiance dans le cadre de la contestation d’un avertissement et, d’autre part, d’avoir déposé plainte contre le Responsable de l’agence pour déstabiliser la structure. 

Les demandes du salarié concernant la nullité du licenciement

Contestant le bien-fondé de son licenciement, le salarié a saisi le conseil de prud’hommes. La Cour d’appel de Besançon a infirmé le jugement rendu en première instance. Elle a estimé d’une part que les allégations contenues dans le courrier n’étaient pas établies et qu’elles constituaient, par leur caractère outrancier, un excès à la liberté d’expression. S’agissant de la plainte, la Cour a jugé que le salarié ne pouvait sérieusement plaider la bonne foi dès lors qu’il ne pouvait ignorer que cette plainte contre le responsable de l’agence allait nécessairement déstabiliser le fonctionnement de l’entreprise. Le salarié a formé un pourvoi en cassation.

La décision, son analyse et sa portée

Au visa des articles L. 1121-1 et L.1132-3-3 du Code du travail, la Cour de cassation casse l’arrêt rendu.

En premier lieu, elle souligne que « les lettres litigieuses, adressées uniquement au directeur de région en réponse à deux avertissements et rédigées en des termes qui n’étaient ni injurieux, ni diffamatoires ou excessifs, ne caractérisaient pas un abus dans la liberté d’expression du salarié ».

En second lieu, la Cour suprême rappelle le principe selon lequel « aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits constitutifs d’un délit ou d’un crime dont il aurait connaissance dans l’exercice de ses fonctions ; qu’il s’en déduit que le salarié ne peut être licencié pour ce motif sauf mauvaise foi, laquelle ne peut résulter que de la connaissance par le salarié de la fausseté des faits qu’il dénonce et non de la seule circonstance que les faits dénoncés ne sont pas établis ».

Elle en déduit que « l’arrêt retient que les faits pour lesquels l’intéressé a déposé plainte auprès de la gendarmerie n’ont pas donné lieu à des poursuites pénales et que le salarié ne peut sérieusement plaider la bonne foi dès lors qu’il ne pouvait ignorer que cette plainte allait nécessairement déstabiliser son agence ; qu’en statuant ainsi, par des motifs impropres à caractériser la mauvaise foi du salarié, la cour d’appel a violé les textes susvisés ».

Cet arrêt intéressant nous donne l’occasion de commenter les règles applicables en matière de liberté d’expression des salariés et de protection des lanceurs d’alerte, règles majeures de la relation de travail si difficiles à appréhender en pratique.

La liberté d’expression du salarié : une liberté fondamentale

L’article L. 1121-1 du Code du travail rappelle que « nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ». La Cour de cassation a posé le principe suivant lequel le salarié doit jouir dans l’entreprise et en dehors de celle-ci de sa liberté d’expression. Celle-ci constitue une liberté fondamentale qui doit être protégée à ce titre. Dès lors, seul un abus peut justifier un licenciement sur ce motif.

La cour d’appel, pour caractériser l’existence d’un abus, s’est attachée à vérifier « la véracité des pratiques dénoncées par le salarié ». À ce titre, le salarié versait dans son dossier trois attestations d’anciens salariés confirmant ses allégations. Or, la Cour a retenu que ces déclarations devaient être regardées avec circonspection dès lors que l’un d’entre eux avait été licencié pour faute grave et que les deux autres avaient engagés des contentieux à l’encontre de la Société. La Cour a souligné que le responsable de l’agence était parvenu à fournir des explications cohérentes aux gendarmes puisque la plainte du salarié n’avait pas donné lieu à des poursuites pénales. Dès lors, selon les juges du fond, les faits n’étant pas établis, les allégations constituaient par leur caractère « outrancier un excès à la liberté d’expression ».

La Cour de cassation casse cet arrêt. Elle souligne que les termes utilisés par le salarié n’étaient ni injurieux, diffamatoires ou excessifs. Dès lors, ces faits ne caractérisaient pas un abus dans la liberté d’expression. La Cour de cassation réaffirme ainsi une jurisprudence désormais bien établie. En l’espèce, la protection du salarié s’imposait d’autant plus que les faits dénoncés s’inscrivaient dans le cadre de l’exercice des droits de la défense et qu’ils étaient susceptibles de caractériser un délit.

La protection du salarié lanceur d’alerte : seule limite la mauvaise foi

Au visa de l’article L. 1132-3-3 du Code du travail, la Cour de cassation rappelle qu’un salarié ne peut être sanctionné pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, des faits constitutifs d’un délit ou d’un crime dont il aurait eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions.

Ce texte a été adopté après que la Cour de cassation ait jugé que le salarié était libre de déposer une plainte pénale à l’encontre de son employeur. Dès lors, seule la mauvaise foi permet de justifier un licenciement. Dans un arrêt du 30 juin 2016, la Cour de cassation avait déjà considéré qu’en raison de l’atteinte portée à la liberté d’expression, le licenciement d’un salarié prononcé pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits dont il a eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions et qui, s’ils étaient établis, seraient de nature à caractériser des infractions pénales, devait être frappé de nullité. La mauvaise foi constitue donc l’alpha permettant de résoudre la question posée.

Mais quels sont les éléments constitutifs de la mauvaise foi ? Dans la présente affaire, la Cour de cassation retient que l’absence de poursuites pénales n’est pas suffisante pour caractériser la mauvaise foi du salarié. En effet, cette dernière ne se présume pas. Elle doit résulter de la connaissance par le salarié de la fausseté des faits qu’ils dénoncent. L’employeur soutenait pourtant que la plainte avait été déposée par le salarié dans le seul but de déstabiliser l’agence au sein de laquelle il travaillait. Si cet argument a été retenu par les juges du fond, la Cour de cassation est moins conciliante. L’employeur n’apportant pas la preuve que le salarié savait que les faits dénoncés étaient faux, le licenciement n’est pas justifié.

Comme dans le cadre du harcèlement moral, le salarié qui dénonce des agissements fautifs a droit à une protection particulière. Adopter une solution inverse conduirait nécessairement les salariés à se montrer réticents pour dénoncer des agissements délictueux de leur employeur. Or, les dispositions du Code du travail ont justement pour objectif d’inciter les salariés à signaler des faits répréhensibles, y compris lorsqu’il s’agit de simples suppositions. En effet, les salariés ne disposent pas des moyens de la justice pour mener une enquête. Ils peuvent donc se trouver dans l’impossibilité d’apporter la preuve formelle des faits qu’ils relatent. Il appartient alors aux enquêteurs d’utiliser l’ensemble des moyens dont ils disposent et pour déterminer si ces faits doivent donner lieu à des poursuites pénales.

Postérieurement à la présente affaire, la loi du 9 décembre 2016 a fixé le cadre général des lanceurs d’alerte. Cette loi a obligé les grandes entreprises a adopté des mesures spécifiques pour lutter contre la corruption. La personne physique qui révèle ou signale, de manière désintéressée et de bonne foi, un crime ou un délit, doit être considéré comme un lanceur d’alerte au sens de cette loi. Cette dernière ne peut alors être sanctionnée, licenciée ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire. En contrepartie, en cas de dénonciation calomnieuse, le salarié s’expose à cinq ans d’emprisonnement et à 45 000 euros d’amende. 

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