En effet, une quinzaine de Conseils de prud’hommes, notamment ceux de BORDEAUX et PAU, jugent que le barème d'indemnisation des licenciements des ordonnances MACRON viole les articles 24 de la Charte sociale européenne, 10 de la Convention numéro 158 de l’OIT, le principe de la réparation intégrale du préjudice ainsi que le droit au procès équitable.
Pour la première fois, un Juge départiteur du Conseil de Prud’hommes d’AGEN a écarté le barème d’indemnisation des licenciements, en jugeant :
« En vue d'obtenir la réparation intégrale du préjudice résultant de la rupture de son contrat de travail par la faute de son employeur, Madame X... sollicite que soit déclaré inapplicable le plafond de l'article L. 1235-3 du Code du travail en raison de son conventionnalité, notamment avec l'article 10 de la Convention no 158 de l'O.I.T. sur le licenciement, ratifiée par la France le 16 mars 1989, qui dispose que si les tribunaux arrivent à la conclusion que le licenciement est injustifié et qu'ils n'ont pas le pouvoir ou n'estiment pas possible dans les circonstances d'annuler le licenciement ou d'ordonner ou de proposer la réintégration du travailleur, ils devront être habilités à ordonner le versement d'une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée. Elle invoque également l'article 24 de la Charte sociale européenne du 3 mai 1996, ratifiée par la France le 7 mai 1999, ayant valeur de traité international, qui dispose que les parties s'engagent à reconnaître le droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée. Il en résulte que le barème établi par l'article L.1235-3 du Code du travail ne permet pas dans tous les cas une indemnité adéquate ou une réparation appropriée, ne prévoyant pas des indemnités d'un montant suffisamment élevé pour dissuader l'employeur et pour compenser le préjudice subi par le salarié. L'application des dispositions de l'article L.1235-3 du Code du travail sera en conséquence écartée ». CPH Agen, 5 févr. 2019, no RG 18/00049.
À titre d’illustration, nous visons ci-dessous les jugements des Conseils de Prud’hommes de TROYES du 13 décembre 2018, d’AMIENS du 19 décembre 2018, de LYON du 7 janvier 2019, d’ANGERS du 17 janvier 2019, de GRENOBLE du 18 janvier 2019 et de BORDEAUX du 10 avril 2019.
Manifestement préoccupé par le déferlement des jugements des Conseils de prud'hommes qui, à ce stade, penchent davantage vers l'inconventionnalité du barème, la ministre de la Justice, dans une circulaire du 26 février 2019 adressée aux procureurs généraux et premiers Présidents des Cours d’Appel, les exhorte à l'informer « des décisions rendues dans [leur] ressort ayant écarté le moyen d'inconventionnalité des dispositions indemnitaires fixées par l'article L. 1235-3 précité ainsi que des décisions ayant, au contraire, retenu cette inconventionnalité », les décisions faisant l'objet d'un appel devant aussi être communiquées « afin de pouvoir intervenir en qualité de partie jointe pour faire connaître l'avis du parquet général sur cette question d'application de la loi » (sic).
L’incitation à intervenir dans les procédures relève d’une immixtion du pouvoir exécutif visant à faire pression sur les magistrats du siège et constitue une atteinte à l’un des principes fondamentaux de la République en violant le principe d’indépendance des magistrats.