Licenciement nul : congés payés pour la période d’éviction 

Cour de justice de l’union européenne (CJUE) 25 juin 2020 : le salarié réintégré après un licenciement nul a droit à des congés payés pour la période d’éviction assimilée à du travail effectif.

L’article 7, paragraphe 1, de la Directive n° 2003/88 concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail, s’oppose à une jurisprudence nationale en vertu de laquelle un travailleur illégalement licencié, puis réintégré dans son emploi, conformément au droit national, à la suite de l’annulation de son licenciement par une décision judiciaire, n’a pas droit à des congés annuels payés pour la période comprise entre la date du licenciement et la date de sa réintégration dans son emploi, au motif que, pendant cette période, ce travailleur n’a pas accompli un travail effectif au service de l’employeur.

Les questions préjudicielles à la CJUE

Affaire C-762/18  : licenciement illégal en Bulgarie

En Bulgarie, l’employée d’une école est licenciée le 29 avril 2004 puis réintégrée dans son poste le 10 novembre 2008 lorsque son licenciement est déclaré illégal, par décision judiciaire. Puis elle est de nouveau licenciée quelques jours plus tard mais ne conteste pas son licenciement.

La requérante saisit les juridictions bulgares aux fins d’obtenir une indemnité au titre de 285 jours de congés annuels payés non utilisés pour la période du 30 avril 2004 au 13 novembre 2008. L’ensemble des recours de la requérante ont été rejetés alors qu’elle soutient que la Cour de cassation (bulgare) aurait dû faire application de l’article 7 de la Directive n° 2003/88 qui garantit le droit à un congé annuel de quatre semaines à tout travailleur.

C’est dans ces conditions que la juridiction saisit en dernier ressort, décide de surseoir à statuer afin de saisir la CJUE de deux questions préjudicielles :

Le fait de priver un travailleur de congés annuels lorsqu’il a été licencié illégalement puis réintégré à son poste sur la période comprise entre la date du licenciement et la date de sa réintégration dans son emploi, est-il contraire à l’article 7 de la Directive 2003/88 concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail ?

En cas de réponse affirmative à la première question, s’il y a rupture ultérieure de la relation de travail, priver le travailleur d’une indemnité pécuniaire au titre des congés annuels payés non pris pour la période comprise entre la date de son précédent licenciement et la date de sa réintégration dans son emploi est-il contraire à l’article 7 § 2 de cette même Directive ?

Affaire C-37/19  : jurisprudence italienne en matière de licenciement

En Italie, à la suite d’une procédure collective, une salariée a été licenciée le 11 juillet 2002, puis réintégrée dans son poste, le 6 octobre 2003, par décision judiciaire. Elle a de nouveau fait l’objet d’un licenciement par deux lettres de son employeur en 2003 qui a été déclaré illicite par décisions judiciaires et a été réintégrée dans son poste le 26 septembre 2008. Le 17 septembre 2010, son contrat de travail a été de nouveau résilié.

Dans le même temps, la requérante a saisi les juridictions italiennes afin d’obtenir le paiement de 30,5 jours de congés ainsi que 5 jours de congé spécial acquis et non pris au titre de jours fériés supprimés (assimilables à des congés annuels) pour 2003 et de 27 jours de congé et 5 jours de congé spécial acquis et non pris en 2004, au titre de jours fériés supprimés. En premier ressort, les demandes de la requérante ont été rejetées : elle n’avait pas exécuté un travail effectif et par conséquent, le droit à l’indemnité substitutive des congés et des congés spéciaux ne pouvait lui être reconnu que si l’activité professionnelle avait été exercée au cours de la période de référence.

Outre, la jurisprudence italienne en matière de licenciement, de réintégration dans l’emploi et du droit à indemnité pour congés non pris en cas de réintégration, la Cour de cassation italienne considère qu’il « ne peut être exclu que l’exécution de l’activité professionnelle durant la période de référence ne soit pas une condition sine qua non du droit aux congés annuels payés » au regard de la jurisprudence de la CJUE.

C’est dans ces conditions que la Cour de cassation italienne saisit la CJUE d’une question préjudicielle :

Des pratiques nationales excluant le droit au paiement d’une indemnité pécuniaire au titre des congés annuels acquis et non pris, en cas de rupture de la relation de travail, dans un contexte où le travailleur n’a pas pu l’invoquer avant la cessation, en raison de son licenciement, sont-elles contraires aux dispositions de l’article 7 de la Directive n° 2003/88 et à l’article 31 de la Charte de l'UE ? 

Réponses de la CJUE : un salarié réintégré à la suite d’un licenciement nul a droit au cumul de ses congés payés

Affaire C-362/18  : l’affaire Dominguez

Tout d’abord, la Haute juridiction européenne rappelle que le droit à un congé annuel payé de quatre semaines prévu par l’article 7 de la Directive 2003/88 est un principe du droit social de l’Union et qu’à ce titre, il revêt une importance particulière. Il est consacré par l’article 31 § 2 de la Charte qui selon l’article 6 § 1 du Traité sur l’UE a la même valeur juridique que les traités. Il ne peut être interprété de manière restrictive, selon la Cour de justice.

Dans le cadre de l’affaire Dominguez, la Cour avait jugé qu’une disposition nationale prévoyant que le droit au congé annuel payé devait être « subordonné à une période de travail effectif minimale de dix jours ou d’un mois pendant la période de référence » était contraire aux dispositions de l’article 7 § 1 de la Directive n° 2003/88 (CJUE, 24 janv. 2012, aff. C-282/10). Dans cette hypothèse, un salarié absent pour arrêt maladie ne peut voir imputé son droit à congé annuel de quatre semaines.

Et la CJUE avait d’ailleurs jugé contraire à l’article 7 de la Directive, une disposition nationale prévoyant qu’un « travailleur qui est en congé de convalescence, accordé conformément au droit national, durant la période de congé annuel fixée dans le calendrier des congés de l’établissement où il est employé, puisse se voir refuser, au terme de son congé de convalescence, le droit de bénéficier de son congé annuel payé à une période ultérieure, à condition que la finalité du droit au congé de convalescence diffère de celle du droit au congé annuel, ce qu’il appartient à la juridiction nationale d’apprécier » (CJUE, 30 juin 2016, aff. C-178/15).

La Cour de justice décide donc de vérifier si les principes de cette jurisprudence sont applicables aux cas d’espèces. Et certaines similitudes peuvent être relevées. Ainsi, tout comme le travailleur en arrêt maladie dont l’incapacité de travail est « imprévisible et indépendante de la sa volonté », le licenciement d’un salarié jugé illégal est, « en principe, imprévisible et indépendant de la volonté de ce travailleur ». C’est en raison du comportement fautif de son employeur que le travailleur se trouve privé d’un emploi effectif pour la période considérée (de son licenciement à sa réintégration).

Dans ces conditions, « la période comprise entre la date du licenciement illégal et la date de la réintégration du travailleur dans son emploi, conformément au droit national, à la suite de l’annulation de ce licenciement par une décision judiciaire, doit être assimilée à une période de travail effectif aux fins de la détermination des droits au congé annuel payé ». La jurisprudence relative au droit au congé annuel du salarié en arrêt maladie est donc applicable « mutatis mutandis » au cas du travailleur privé d’emploi, à la suite d’un licenciement jugé illégal qui est réintégré à son poste. Cette période d’inactivité est assimilée à un travail effectif au service de l’employeur.

Jurisprudence nationale et droit de l’Union européenne

Il s’agit dans ces deux affaires de déterminer si n’est pas contraire au droit de l’Union, une jurisprudence nationale en vertu de laquelle, un travailleur licencié puis réintégré dans son emploi, à la suite de l’annulation de son licenciement, par voie judiciaire, est exclu de toute indemnité pécuniaire au titre des congés annuels payés non utilisés au cours de la période où il était privé d’emploi.

Dans l’affaire Kreuziger, la Cour de justice avait jugé contraire à  l’article 7 de la Directive n° 2003/88, une réglementation nationale prévoyant qu’à « défaut pour un travailleur d’avoir demandé à pouvoir exercer son droit au congé annuel payé avant la date de la cessation de la relation de travail, l’intéressé perd, automatiquement et sans vérification préalable du point de savoir si celui-ci a été effectivement mis en mesure par l’employeur, notamment par une information adéquate de la part de ce dernier, d’exercer son droit au congé avant ladite cessation, les jours de congé annuel payé auxquels il avait droit en vertu du droit de l’Union lors de cette cessation, ainsi que, corrélativement, son droit à une indemnité financière au titre de ces congés annuels payés non pris » (CJUE, 6 nov. 2018, aff. C-619/16).

La Cour ayant précédemment considéré que dans des cas tels que ceux en cause, un salarié injustement privé d’emploi à la suite d’un licenciement, annulé par décision judiciaire peut faire valoir ses droits au congé annuel payé acquis pendant la période courant de la date de son licenciement à sa réintégration, c’est la même règle qui s’applique à l’indemnité pécuniaire.

« Lorsque le travailleur, à l’instar de ceux en cause dans chacune des présentes affaires, postérieurement à sa réintégration dans son emploi à la suite de l’annulation de son licenciement illégal, est à nouveau licencié, il peut prétendre, sur le fondement de l’article 7, paragraphe 2, de la directive 2003/88, à une indemnité au titre de congés annuels non pris lors de ce nouveau licenciement, y compris ceux correspondant à la période comprise entre la date du licenciement illégal et la date de sa réintégration dans son emploi ».

Comme pour la première question, la Cour rappelle qu’une telle indemnité doit être écartée dans l’hypothèse où le travailleur concerné a occupé un autre emploi sur la période considérée.

Conséquences de la décision de la CJUE sur la jurisprudence française

La solution de la CJUE va contraindre la Cour de cassation à revoir sa jurisprudence. En effet, elle juge que « la période d'éviction ouvre droit, non à une acquisition de jours de congés, mais à une indemnité d'éviction » car il ne s’agit pas d’un temps de travail effectif (Cass. soc., 11 mai 2017, n° 15-19.731 et n° 15-27.554 P+B).

Nous supposons aussi que pendant cette période d’éviction, le salarié a acquis de l’ancienneté puisqu’il n’a pas quitté l’entreprise.

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