La question de l’accueil des modes de preuve illicites est plus que jamais d’actualité puisque la déloyauté dans l’obtention d’un moyen de preuve ne conduit plus nécessairement à son rejet des débats. En pratique, la Cour d’appel d’ANGERS, dans un arrêt du 25 janvier 2024 s’est prononcée sur la question de la licéité de la production en justice par un employeur d’une enquête réalisée par un détective privé à l’insu du salarié.
La Cour de cassation rejette à droit constant les rapports de détective sur le fondement des articles 9 du Code civil et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et L.1222-4 du Code du travail et des libertés fondamentales consacrant notamment le droit fondamental à la vie privée
L’article 9 du Code civil dispose que « Chacun a droit au respect de sa vie privée »
L’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales consacre le droit fondamental à la vie privée « Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ».
L’article L.1222-4 Code du travail dispose avec précision que : « Aucune information concernant personnellement un salarié ne peut être collectée par un dispositif qui n’a pas été porté préalablement à sa connaissance ».
La Cour de cassation juge en ce sens que « Une filature organisée par l’employeur pour contrôler et surveiller l’activité d’un salarié constitue un moyen de preuve illicite dès lors qu’elle implique nécessairement une atteinte à la vie privée de ce dernier, insusceptible d’être justifiée, eu égard à son caractère disproportionné, par les intérêts de l’employeur » (Cass. soc., 26 février 2002, n°00-42.401 ; 17 mars 2016 n°15-11.412)
La Cour de cassation juge également « Ayant constaté que l’employeur avait fait suivre le salarié par une agence de détective privé pendant plusieurs heures, la Cour d’appel en a exactement décidé que ce procédé était attentatoire à la vie privée du salarié a caractérisé un comportement déloyal de l’employeur » (Cass. soc., 26 septembre 2018, n°17-16.020).
Or la violation du droit au respect de la vie privée est un préjudice automatique qui ouvre droit à des dommages-intérêts. Conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation « la seule constatation de l’atteinte à la vie privée ouvre droit à réparation » sans que le salarié n’ait à justifier d’un préjudice. (Cass. soc., 7 novembre 2018 n°17-16.799 ; Cass. soc., 12 novembre 2020 n°19-20.583).
Afin de garantir au justiciable son droit d’accès au juge, la Cour de cassation a consacré un droit à la preuve, c’est-à-dire la possibilité donnée aux parties à un procès de présenter leurs preuves. Ce droit est limité par le principe de loyauté dans l’administration de la preuve.
Aujourd’hui, l’illicéité ou la déloyauté dans l’obtention ou la production d’un moyen de preuve ne conduit pas nécessairement à l’écarter des débats.
La Cour de cassation, dans ses arrêts d’assemblée plénière du 22 décembre 2023 (n°20-20.648 ; n°21-11.330) a opéré un revirement jurisprudentiel en matière de droit à la preuve.
La Cour de cassation admet dorénavant que dans un litige civil une partie puisse utiliser sous certaines conditions strictes une preuve obtenue de façon déloyale pour faire valoir ses droits.
La Cour de cassation juge que des moyens de preuve déloyaux peuvent être présentés au juge dès lors qu’ils sont indispensables à l’exercice des droits du justiciables. Toutefois la prise en compte de ces preuves ne doit pas porter une atteinte disproportionnée aux droits fondamentaux de la partie adverse tels que la vie privée, l’égalité des armes etc.
Cette solution est inspirée de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’hommes. Elle répond à la nécessité de ne pas priver un justiciable de la possibilité de faire la preuve de ses droits lorsque la seule preuve disponible pour lui suppose pour son obtention une atteinte aux droits de la partie adverse.
Pour en savoir plus n’hésitez pas à consulter : notre dernière actualité sur l’accueil conditionné des modes de preuves illicites ainsi que le communiqué de la Cour de cassation sur l’usage devant le juge civil d’une preuve obtenue de façon déloyale.
La Cour d’appel d’ANGERS dans un arrêt du 25 janvier 2024 juge que la preuve obtenue par un enquêteur privé à l’insu du salarié présente un caractère illicite au regard des dispositions de l’article L.1222-4 du Code du travail.
Elle rappelle tout d’abord, sur le fondement de l’arrêt du la Cour de cassation du 8 mars 2023 (n°21-20.798) et des articles 6 et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme, ainsi que des articles 9 du Code civil et 9 du Code de procédure civile, que l’illicéité d’un moyen de preuve n’entraine pas nécessairement son rejet des débats. Le juge doit alors vérifier si la preuve litigieuse est indispensable à l’exercice du droit à la preuve de l’employeur et si l’atteinte au respect de la vie privée du salarié n’est pas strictement proportionnée au but poursuivi.
Elle précise à cet effet qu’en présence d’une preuve illicite le juge doit rechercher si l’employeur ne pouvait pas atteindre un résultat identique en utilisant d’autres moyens plus respectueux de la vie privée ou personnelle du salarié et apprécier le caractère proportionné de l’atteinte portée à la vie personnelle au regard du but poursuivi.
En l’espèce, l’employeur a produit quatre rapports d’enquête effectués à sa demande, dont il ressort que l’enquêteur a pris en observation et en filature un salarié en arrêt maladie en suivant celui-ci à partir de son domicile sur différents lieux en dehors de son travail avec prise de photographies, afin notamment de démontrer l’exercice d’un travail dissimulé et concurrentiel pendant ses arrêts de travail, ce qui a conduit à son licenciement pour faute grave.
La Cour d’appel juge alors que « ce moyen de preuve est illicite comme ayant été obtenu en atteinte à la vie privée du salarié, de manière déloyale au regard des filatures réalisées pour contrôler et surveiller ses activités sans qu’il en ait été préalablement informé.
Elle relève qu’il n’a pas été mis en évidence que la société ne pouvait pas atteindre un résultat identique en utilisant d’autres moyens plus respectueux de la vie privée du salarié au travers de mesures d’instruction légalement admises préalablement ordonnées ou au travers d’un procès-verbal de constat d’huissier ou encore d’attestations.
De même la Cour d’appel relève qu’il n’est pas démontré par la société que l’atteinte à la vie privée du salarié soit strictement proportionnée au but poursuivi et justifiée par ses intérêts propres alors même qu’il est constant qu’une filature organisée à l’initiative de l’employeur pour contrôler et surveiller l’activité d’un salarié constitue une atteinte à la vie privée insusceptible d’être justifiée eu égard à son caractère disproportionné par les intérêts de l’employeur.
La Cour d’appel d’ANGERS juge par conséquent que les rapports d’enquêtes doivent être écartés des débats, peu important que l’enquêteur bénéficie d’un agrément et que son activité soit encadrée et contrôlée.
Vous êtes salarié ? Dans le cadre d’une procédure de licenciement l’employeur verse une enquête faite par un détective à votre insu, n’hésitez pas à nous contacter pour plus d’information.